... La création de la Ville-parc du Vésinet Lorsque le rideau se lève sur cette partie essentielle de l'histoire de notre commune, Le Vésinet n'est que forêt et garenne sillonnées par quelques grandes routes et traversées par la voie de chemin de fer. Les premiers habitants du Vésinet furent les oiseaux, dira plus tard un journaliste de L'Industriel de Germain-en-Laye. Le territoire du Vésinet fit partie du domaine privé de la Couronne, jusqu'au moment où, en 1856, intervint l'échange de terrains qui fut à l'origine du peuplement du Vésinet. La description de la forêt du Vésinet au moment de l'acquisition par la Société Pallu en 1856 est intéressante à plus d'un titre. On peut la rapprocher des rapports des gestionnaires des Forêts de la Couronne et du plan de 1824 qui nous offrent une vision des bois trente ans plus tôt. On y lit la poursuite de la composition que nous avons vue s'élaborer au fil des siècles : une très vaste partie boisée, coupée par des routes et ronds points et une surface de taille assez importante (12 ha), l'ancien champ de manœuvres entièrement déboisé. La création du Vésinet
est une affaire immobilière raisonnée, une entreprise
financière montée de toute pièce, la première
de cette ampleur. Au départ de la transaction,
le banquier Henri
Place possède, parmi de nombreux biens très
disparates, des terrains situés sur les territoires des communes
de Rueil, Vaucresson, Garches et La Celle-Saint-Cloud jouxtant
le domaine de la Malmaison. H. Place détient également
sur les communes de Marly, Saint Germain-en-Laye et Fourqueux des
parcelles permettant la jonction des forêts de Saint-Germain
et Marly. Il spécule donc sur des échanges et ventes
de ces terrains avec la Maison de l'empereur. Même si la
postérité n'a retenu de lui que ses talents de peintre,
Henri Place fut aussi un banquier impliqué dans les grandes
affaires financières apparues avec l'Empire. Administrateur
du Crédit Mobilier, fondé par Achille Fould
et les frères Pereire, Henri Place participa activement
au développement de cet établissement. Il sera, en
mai 1856, mandaté pour une importante mission à Constantinople
où Émile Pereire souhaitait contrôler la création
de la banque nationale ottomane. Le 31 mai 1856, Henri Place est mis en banqueroute à la suite d'une plainte d'un de ses créanciers, peut-être pour faire échouer sa mission à Constantinople. En effet, le Crédit Mobilier des frères Pereire était en concurrence sur cette affaire avec de nombreux rivaux européens. Après de multiples péripéties la banque ottomane ne verra le jour qu'en 1863, sans les Pereire. Le 11 juin 1856, le tribunal prend acte de l'accord conclu entre Place et ses créanciers et lève la banqueroute. Un décret de l'empereur du 10 octobre suivant autorise l'échange. La Société Pallu & Cie s'y substitue à Henri Place. Le 20 novembre 1856, la transaction finale est conclue avec le ministre de la Maison de l'Empereur sous la forme d'un échange : d'un côté les 436,5 hectares situés sur les communes du Pecq, de Croissy et de Chatou (en gros, la forêt du Vésinet) auxquels s'ajoutent 49 hectares de la forêt de Saint-Germain (" La Réserve" vendue aux Frères Pereire l'année suivante) mais aussi une concession de 2 000 hectolitres d'eau par jour pour " l'usage de la forêt" . Ils sont échangés contre 321 hectares constitués de 23 parcelles situées sur les communes de Saint-Germain, Fourqueux, Chambourcy, Rueil, Vaucresson, Garches, Saint-Cloud et la Celle-Saint-Cloud. Une soulte de 74,93 francs aux frais de MM. Pallu & Cie équilibre la transaction. L'acte d'échange, qui compte plus de 800 pages, est reçu par Me Mocquart et Me Roquebert, notaires à Paris. Un Sénatus Consulte (loi sénatoriale) du 8 juin 1857, promulgué le 24 juin, rend définitif l'acte d'échange. Notons pour mémoire que l'aliénation de ce bien national qu'était la forêt du Vésinet sera un des griefs portés à l'encontre de l'Empereur déchu dans le procès posthume que lui fera le journal Le Siècle en 1878 [Procès du Siècle contre l'ex-Prince. Plaidoirie de Me Henri Brisson, devant la Cour de Paris. Audience du 7 Décembre 1878]. Le 14 juin 1858 une nouvelle Société " Alphonse
Pallu & Cie" est formée. L'acte,
passé devant Me Roquebert & Me Guyon, notaires à Paris, énumère
les biens apportés par Pallu, pour une valeur de 3 millions
de francs. On y mentionne les carrières d'Onyx d'Algérie,
115 actions de la Société Pallu & Cie (celle
de 1856). On y retrouve aussi des parts dans un navire à vapeur,
l'Isaure détenu conjointement avec Henri Place.
Elle accorde au gérant les pouvoirs les plus étendus pour administrer
la société, toucher, payer, traiter, vendre, échanger,
fusionner, emprunter, affecter en garantie les valeurs de la
société, conférer des hypothèques
et nantissement, compromettre, donner désistement et
mainlevées avant ou après paiement.
A partir de là, on peut distinguer trois phases dans l'histoire des vingt-cinq années qui vont marquer la métamorphose progressive de la forêt du Vésinet en une élégante commune de la banlieue parisienne. La première phase se place, approximativement, entre 1857 et 1867. Alphonse Pallu et ses collaborateurs font le tracé du lotissement (2 000 lots sont prévus), le comte de Choulot et l'architecte Pierre Joseph Olive dessinent le parc du Vésinet. On effectue les travaux d'aménagement des voies, des ponts, des lacs, des rivières et les adductions d'eau. On édicte les cahiers des charges. L'église Sainte-Marguerite est construite. La publicité aidant, la vente des terrains rencontre un succès rapide. Au cours de cette décennie, sont fondés également la gare du Vésinet (centre) celle dite du Pecq et le champ de courses. Simultanément, l'Asile Impérial est édifié mais indépendamment des travaux du Vésinet. Pallu, s'est entouré de collaborateurs éminents : le comte de Choulot, paysagiste
renommé, qui dessine le parc, bouleverse le paysage, ouvre
les perspectives sur les horizons alentours, imagine les lacs et
les cours d'eau Pierre
Joseph Olive, architecte plus que paysagiste à qui
l'on doit bon nombre des ouvrages d'art publics réalisés
dans la colonie du Vésinet, et probablement le tracé des
quartiers dits " centres de ravitaillement" tels que le Village, Le hameau du Petit-Montesson, le voisinage du Rond-Point. On a aussi
retenu les noms de MM. Petit, ingénieur des Ponts-et-Chaussées, Dufrayer,
chef du service des Eaux de Versailles et Lepant, conducteur de travaux. Le 2 août 1857, à l'annonce du prochain
défrichement des bois du Vésinet, le Conseil municipal de Montesson
vote une protestation et fait valoir les droits d'usages. La protestation
restera sans suite. Le 14 août 1858 la Compagnie Pallu & Cie, offre à ses six cents ouvriers un banquet champêtre sur le terrain même de leurs vastes et rudes travaux. Tout en récompensant le zèle et l'activité de ses employés, la Compagnie célèbre aussi la " première période de l'exécution de ses grands projets" . La partie ouest de la forêt du Vésinet, celle qui avoisine la gare, et que cependant on décrit comme " la moins riche en beaux et grands arbres" , peut déjà donner une idée de ce qu'offrira l'ensemble. " Un lac pittoresque, au milieu duquel surgit une île qui, dans les mains d'un homme de goût, pourra devenir un ravissant séjour deux ponts praticables aux chevaux et aux voitures, l'un rustique, et l'autre remarquable ouvrage d'art en maçonnerie, des blocs de roche et de granit, produit des fouilles mêmes du sol, forment déjà un spécimen des plus pittoresques et des plus curieux, et depuis trois jours l'eau prise dans la Seine vient remplir le lac et donner à cette partie de l'exploitation un commencement de vie et d'animation. Une large et véritable rivière, qui fait suite au lac dont elle recevra les eaux, est aussi en voie d'exécution, et deux autres lacs, dont l'un comprendra tout l'ancien champ de manœuvres, seront creusés et inondés dans la campagne prochaine. La presse locale (l'industriel de St-Germain) et parisienne (le Journal des Débats) rendent compte de l'événement et s'extasient devant ce qu'on considère comme un " nouveau Bois de Boulogne" . La première vente par adjudication de 24 lots de terrains boisés eut lieu le dimanche 10 octobre 1858. Elle concernait les îlots n°2 et 3, situés alors sur le territoire de la commune du Pecq, entre la route de la Passerelle et la route de Paris (boulevard Carnot). Il était logique que la " colonisation" du Vésinet commençât à proximité du Pecq où se trouvaient les commerces, proches de la station de chemin de fer, la seule ouverte à cette époque et qui portait le nom du Vésinet. Le texte de la notice est intéressant tout est mis en œuvre pour séduire l'acquéreur éventuel. Le prix (qui va de 1 frs à 4 frs le mètre carré (50 à 200 € d'aujourd'hui) est payable en deux ans à 5% d'intérêts l'an. Le parcours de chemin de fer, en seconde classe, est gratuit jusqu'au 1 janvier 1862, faveur qui sera prorogée jusqu'en 1875, valable pour une personne, locataire éventuellement, par maison. Les multiples agréments qu'offrent la forêt et la colonie naissante sont mis en valeur en peu de mots, mais on parle de transformer par étapes Le Vésinet " en un parc à l'instar du bois de Boulogne" . Il y eut trois adjudications en 1858. A titre d'exemple, le 24e lot, mis à prix 2 900 frs fut acquis pour 4 800 frs par un libraire parisien. Deux ans plus tard, une centaine de maisons seront édifiées. Les premiers commerces s'implantent autour du Rond-Point puis au cœur du Village. Il a fallu aussi songer à équiper des troquets, des guinguettes, et quelques restaurants. Le dimanche 19 août 1860, l'inauguration officielle des machines hydrauliques est l'occasion d'une fête somptueuse. Deux puissantes machines à vapeur pompent l'eau de la Seine pour alimenter les lacs, les rivières et les propriétés particulières du parc. Dès la veille, les oriflammes tricolores flottaient au bord des avenues. Des arcs de triomphe en feuillage avaient été dressés et les habitations se pavoisaient, prêtes à recevoir les excellences ... Quatre ans après la première adjudication des lots, la gare centrale du Vésinet existe désormais, ainsi qu'un grand établissement hydraulique. Les commerces sont sur le point de s'installer. L'église Sainte-Marguerite est en chantier. Pour hâter le peuplement de la colonie du Vésinet, la Société Pallu s'est lancée dans la promotion immobilière, comme l'on dirait aujourd'hui. Le paiement s'effectue comptant pour le quart et par annuités de six à huit ans pour les trois autres quarts. Pendant l'année 1863, on bâtit 118 maisons, 924 parcelles ont déjà été vendues. Le nombre de voyageurs prenant le train en gare du Vésinet était important: en 1868, il fut de 144 359 voyageurs. En ajoutant le nombre de voyageurs habitant au Vésinet mais utilisant les gares du Pecq et de Chatou, une estimation donna un total de 200 000 voyageurs au Vésinet. Ce trafic était supérieur à celui des gares de Chatou et de Nanterre notamment. Un premier cahier des charges établi en 1858 par MM. Pallu & Cie, retrace l'histoire de l'échange par lequel la Société Pallu était entrée en possession du parc du Vésinet. Il fixe les conditions d'acquisition des terrains. Il détermine en outre la part contributive de chaque acquéreur dans l'entretien des voies et places créées et à créer et dans l'édification éventuelle d'une église. Pour défendre les propriétaires, la Société Pallu a imposé en 1863 un second cahier des charges. Il s'agit du texte remis aux acquéreurs pour leur notifier les conditions spéciales auxquelles ils devaient se conformer. Il fut complété ensuite par divers actes. Le texte du 10 mai 1863, codifie l'ensemble. Le cahier des charges fixe les règles en matière de :
Ce cahier des charges est beaucoup
plus détaillé que celui de 1858 cela peut être le fruit de l'expérience
des cinq premières années de peuplement du parc. Une deuxième phase s'étend de 1867 à 1875. On assiste à l'apparition, puis à l'amplification du mouvement
qui conduira à l'autonomie du Vésinet. C'est donc la phase décisive.
En 1867, se constitue l'Union des propriétaires du Vésinet,
présidée par Alphonse Pallu, première manifestation d'une communauté d'intérêts. Le 1er septembre, une assemblée désigne la Commission
des dix-huit, ayant pour mission de représenter les intérêts collectifs
des habitants du Vésinet, dans toutes les questions d'intérêt général,
sans toutefois pouvoir engager, en quoi que ce soit, les habitants. Ce sont MM. Gastambide, Madié, Potin, Pallu, Battarel, Caille, Weiss, Voytot, Garnier, Pramondon, Paris, Mayeur, Pesnon, Blanquet, Angot, Moncharville, Foucault, de Ricaudy et Laguionie (l'article qui leur rend hommage dans le journal L'avenir de St-Germain, en 1894, cite dix-neuf noms). De l'occupation prussienne à l'indépendance du Vésinet Viennent les années 1870, 1871, qui donnent à l'administration et à la population d'autres préoccupations. On dit que les habitants étaient à Paris pendant le siège et que les Prussiens ne firent que des dégâts aux propriétés. En septembre 1870, ils occupent le pont de Chatou et sont au nombre de 8 000 au Vésinet. Ils investissent l'Asile Impérial et en chassent manu militari l'ambulance française qui s'y était installée. En villégiature au Vésinet, Georges Bizet préfère y demeurer, loin des violences de la Commune de Paris. En 1871, alors que les troupes prussiennes et leurs alliés quittent les environs de Paris et que la situation politique est incertaine, Alphonse Pallu fait paraître une brochure intitulée La Souveraineté nationale et les réformes sociales. Un important article sur la situation d'alors au Vésinet parait dans Le Français (titre provisoire du Moniteur Universel). Bien qu'il soit très critique, il fourmille de détails précieux et originaux et il témoigne sans doute de l'état d'esprit d'Alphonse Pallu, quelque peu désabusé à ce moment donné, l'été 1871. En 1872, la question d'ériger une nouvelle commune redevient d'actualité et la procédure reprend. Les commissions syndicales présidées par M. Mayeur et constituées d'habitants du Vésinet ressortissant aux trois communes concluent à l'unanimité, le 15 juin 1872, en faveur de l'érection du Vésinet en commune distincte. Mais le Conseil d'arrondissement n'a pas le temps de se prononcer: la municipalité de Chatou demande une enquête publique en vue d'une annexion pure et simple de la totalité du Vésinet à Chatou. L'enquête se déroule en mai-juin 1873. L'avis unanimement défavorable des commissions syndicales et le résultat de la consultation incitent le Conseil d'arrondissement en février 1874, puis le Conseil général de Seine-et-Oise en mars 1874, à recommander l'autonomie du Vésinet. A Paris, on joue les Sauvages du Vésinet, une opérette en un acte de Gabriel Ferry. Et en 1875, c'est la consécration : la loi est votée le 31 mai, érigeant en municipalité distincte le territoire du Vésinet. La nouvelle commune élit son premier
Conseil municipal les 25 juillet et 1er août
1875 Le Conseil se réunit pour la première fois le dimanche
15 août 1875 à 13 heures 30 dans la salle d'école des garçons. Son maire est désigné par le gouvernement en vertu de la loi du 20 janvier 1874 c'est
fort logiquement Alphonse Pallu le Conseil Municipal vote son premier
budget. Il demande aussi, dès septembre 1875, la remise à plat de son cadastre. Durant tout ce temps, Le développement
se poursuit. La chronologie de l'apparition des équipements nécessaires à la population du Vésinet met en relief autant de jalons de l'histoire
des premières années d'existence de la colonie puis de la jeune commune. La Compagnie des Sapeurs-Pompiers a été installée
en 1877. Elle se réunit le deuxième dimanche de chaque mois, pour
les manœuvres, à la Mairie. La Compagnie se compose de vingt-quatre
hommes et un sous-lieutenant faisant fonctions de commandant. Jean
Laurent, alors conseiller municipal, lui offre sa première pompe
en 1878. Il faut mentionner également deux projets qui ne virent jamais le jour, mais dont la réalisation aurait bien modifié le parc. En 1869, ce fut le projet du pont destiné à relier Port-Marly au Vésinet, afin de prolonger la route de Versailles, pour aboutir dans les environs du Lac Inférieur le second projet est celui de la Ville Écolière d'Alphonse Pallu.
© Société d'Histoire du Vésinet - http://histoire-vesinet.org
|