La création de la Ville-parc du Vésinet


Lorsque le rideau se lève sur cette partie essentielle de l'histoire de notre commune, Le Vésinet n'est que forêt et garenne sillonnées par quelques grandes routes et traversées par la voie de chemin de fer. Les premiers habitants du Vésinet furent les oiseaux, dira plus tard un journaliste de L'Industriel de Germain-en-Laye. Le territoire du Vésinet fit partie du domaine privé de la Couronne, jusqu'au moment où, en 1856, intervint l'échange de terrains qui fut à l'origine du peuplement du Vésinet.

L'échange

La création du Vésinet est une affaire immobilière raisonnée, une entreprise financière montée de toute pièce, la première de cette ampleur.
Expliquer la genèse de cette opération relève quelque peu de la conjecture. Qui a fait quoi ? Nul sans doute ne le saura jamais vraiment. On s'accorde généralement pour attribuer au Comte de Morny, demi-frère de Napoléon III et habile homme d'affaire, l'idée de l'opération et le recrutement d'Alphonse Pallu pour la mener à bien. Morny, député du Puy de Dome connaissait bien Pallu, maire de Pontgibaud, habile industriel et administrateur avisé.

Au départ de la transaction, le banquier Henri Place possède, parmi de nombreux biens très disparates, des terrains situés sur les territoires des communes de Rueil, Vaucresson, Garches et La Celle-Saint-Cloud jouxtant le domaine de la Malmaison. H. Place détient également sur les communes de Marly, Saint Germain-en-Laye et Fourqueux des parcelles permettant la jonction des forêts de Saint-Germain et Marly. Il spécule donc sur des échanges et ventes de ces terrains avec la Maison de l'empereur. Même si la postérité n'a retenu de lui que ses talents de peintre, Henri Place fut aussi un banquier impliqué dans les grandes affaires financières apparues avec l'Empire. Administrateur du Crédit Mobilier, fondé par Achille Fould et les frères Pereire, Henri Place participa activement au développement de cet établissement. Il sera, en mai 1856, mandaté pour une importante mission à Constantinople où Émile Pereire souhaitait contrôler la création de la banque nationale ottomane.
Le 2 octobre 1855, Henri Place signe avec Achille Fould, directeur de la liste civile de l'empereur (domaine de la couronne), un contrat provisoire concluant à l'échange des bois du Vésinet, propriété de la liste civile, contre les parcelles de la plaine de Jonction, de la plaine de Fouilleuse et du bois de Malmaison, ce qui permettait à Achille Fould de réunir deux territoires de chasse de l'Empereur, mais aussi de reconstituer l'ancien domaine de Joséphine de Beauharnais.
Henri Place forme alors une société en commandite par actions. Elle est créée le 24 mai 1856 sous la raison sociale Pallu & Compagnie, Alphonse Pallu en étant le gérant. La société, connue aussi sous le nom de Société des terrains du Vésinet se propose de mettre en valeur les biens acquis (le Bois du Vésinet), de "défricher, de créer des routes et rues, d'amener l'eau, de construire, louer, revendre". Outre Pallu lui-même, elle compte au rang de ses actionnaires le comte de Morny, le comte de Flahaut, son père naturel, et les banquiers Henri Place et Ernest André.
On a peut-être mésestimé le rôle d'Ernest André. Ancien banquier, associé aux frères Pereire dans le réaménagement du quartier du Louvre, il connaissait tous les aspects de la spéculation immobilière. Chargé, depuis 1845, de la liquidation de la Société du Nouveau Quartier Poissonnière, il n'ignorait rien des problèmes de viabilisation et de commercialisation de terrains à bâtir. Il avait les moyens personnels de soutenir financièrement le projet pour lequel il investît deux millions de francs. Enfin, la banque André était en affaire avec Alphonse Pallu depuis près de vingt ans.

Le 31 mai 1856, Henri Place est mis en banqueroute à la suite d'une plainte d'un de ses créanciers, peut-être pour faire échouer sa mission à Constantinople. En effet, le Crédit Mobilier des frères Pereire était en concurrence sur cette affaire avec de nombreux rivaux européens. Après de multiples péripéties la banque ottomane ne verra le jour qu'en 1863, sans les Pereire. Le 11 juin 1856, le tribunal prend acte de l'accord conclu entre Place et ses créanciers et lève la banqueroute. Un décret de l'empereur du 10 octobre suivant autorise l'échange. La Société Pallu & Cie s'y substitue à Henri Place.

Le 20 novembre 1856, la transaction finale est conclue avec le ministre de la Maison de l'Empereur sous la forme d'un échange : d'un côté les 436,5 hectares situés sur les communes du Pecq, de Croissy et de Chatou (en gros, la forêt du Vésinet) auxquels s'ajoutent 49 hectares de la forêt de Saint-Germain ("La Réserve" vendue aux Frères Pereire l'année suivante) mais aussi une concession de 2 000 hectolitres d'eau par jour pour "l'usage de la forêt". Ils sont échangés contre 321 hectares constitués de 23 parcelles situées sur les communes de Saint-Germain, Fourqueux, Chambourcy, Rueil, Vaucresson, Garches, Saint-Cloud et la Celle-Saint-Cloud. Une soulte de 74,93 francs aux frais de MM. Pallu & Cie équilibre la transaction. L'acte d'échange, qui compte plus de 800 pages, est reçu par Me Mocquart et Me Roquebert, notaires à Paris. Un Sénatus Consulte (loi sénatoriale) du 8 juin 1857, promulgué le 24 juin, rend définitif l'acte d'échange. Notons pour mémoire que l'aliénation de ce bien national qu'était la forêt du Vésinet sera un des griefs portés à l'encontre de l'Empereur déchu dans le procès posthume que lui fera le journal Le Siècle en 1878 [Procès du Siècle contre l'ex-Prince. Plaidoirie de Me Henri Brisson, devant la Cour de Paris. Audience du 7 Décembre 1878].

point MM. Pallu & Compagnie

Le 14 juin 1858 une nouvelle Société "Alphonse Pallu & Cie" est formée. L'acte, passé devant Me Roquebert & Me Guyon, notaires à Paris, énumère les biens apportés par Pallu, pour une valeur de 3 millions de francs. On y mentionne les carrières d'Onyx d'Algérie, 115 actions de la Société Pallu & Cie (celle de 1856). On y retrouve aussi des parts dans un navire à vapeur, l'Isaure détenu conjointement avec Henri Place. Elle accorde au gérant les pouvoirs les plus étendus pour administrer la société, toucher, payer, traiter, vendre, échanger, fusionner, emprunter, affecter en garantie les valeurs de la société, conférer des hypothèques et nantissement, compromettre, donner désistement et mainlevées avant ou après paiement.
Enfin, le 6 juillet 1858, Henri Place abandonne tous ses biens à cette Société Alphonse Pallu et Cie. On relève entre autres 4000 actions de 500 frs de la Société Alphonse Pallu & Cie (soit tout de même 2 millions !) et les droits de Monsieur Place pour des comptes à régler avec divers au sujet de 2000 autres actions de cette Société (un million de plus) ; Le reste est constitué de parts, d'actions de brevets, d'usines, d'une maison, d'un bateau la Danaïde. Dans le même acte, tous les
créanciers de Place renoncent solidairement à leurs créances au profit de la même Société Alphonse Pallu et Cie, dont ils deviennent commanditaires.


Morny, André, Pallu et Compagnie

A partir de là, on peut distinguer trois phases dans l'histoire des vingt-cinq années qui vont marquer la métamorphose progressive de la forêt du Vésinet en une élégante commune de la banlieue parisienne. La première phase se place, approximativement, entre 1857 et 1867. Alphonse Pallu et ses collaborateurs font le tracé du lotissement (2 000 lots sont prévus), le comte de Choulot et l'architecte Pierre Joseph Olive dessinent le parc du Vésinet. On effectue les travaux d'aménagement des voies, des ponts, des lacs, des rivières et les adductions d'eau. On édicte les cahiers des charges. L'église Sainte-Marguerite est construite. La publicité aidant, la vente des terrains rencontre un succès rapide. Au cours de cette décennie, sont fondés également la gare du Vésinet (centre) celle dite du Pecq et le champ de courses. Simultanément, l'Asile Impérial est édifié mais indépendamment des travaux du Vésinet.

Pallu, s'est entouré de collaborateurs éminents : le comte de Choulot, paysagiste renommé, qui dessine le parc, bouleverse le paysage, ouvre les perspectives sur les horizons alentours, imagine les lacs et les cours d'eau; Pierre Joseph Olive, architecte plus que paysagiste à qui l'on doit bon nombre des ouvrages d'art publics réalisés dans la colonie du Vésinet, et probablement le tracé des quartiers dits "centres de ravitaillement" tels que le Village, Le hameau du Petit-Montesson, le voisinage du Rond-Point. On a aussi retenu les noms de MM. Petit, ingénieur des Ponts-et-Chaussées, Dufrayer, chef du service des Eaux de Versailles et Lepant, conducteur de travaux.
La vie et le rôle du comte de Choulot furent redécouverts, par l'un de nos concitoyens, Fred Robida avec l'aide de la famille Choulot. Né à Nevers en 1794, mort près de Pougues-les-Eaux en 1864, Paul de Lavenne comte de Choulot, fervent légitimiste, servit aux Gardes du corps de Louis XVIII, puis fut capitaine général des chasses de Chantilly au service du duc de Bourbon, sous Charles X. Après la révolution de 1830, il prit le parti de la duchesse de Berry et de son fils, le duc de Bordeaux, futur comte de Chambord. Mais, devant l'impossible restauration de la branche aînée, il renonça. La vocation de Choulot prit alors naissance : il allait dessiner les plans de plus de 280 parcs ou jardins, et tracer le parc du Vésinet.

Le 2 août 1857, à l'annonce du prochain défrichement des bois du Vésinet, le Conseil municipal de Montesson vote une protestation et fait valoir les droits d'usages. La protestation restera sans suite.
En 1857-1858, la Compagnie Pallu fait réaliser le « nivellement » (mesure des niveaux, mètre par mètre) de toute la surface du futur lotissement. Ce travail est confié à un géomètre du Pecq dont le nom est connu pour une tout autre raison. Pêcheux-Herbenville fut tenu pour l'adversaire d'Evariste Galois dans le duel qui coûta la vie à ce jeune mathématicien prometteur, le 30 mai 1832. Si l'identité de l'adversaire, lui aussi âgé d'une vingtaine d'années, ne fut jamais rendue publique et reste sujet à caution, le nom de Pêcheux d'Herbenville a été retenu comme un des deux plus probables. Une phrase, jugée sibylline, prononcée à l'époque par un proche, corrobore ce soupçon : « L’algébriste a affronté un géomètre ». François Etienne Pêcheux Herbenville, demeurait au Pecq, rue du Pavé-Neuf. Il mourra à Paris chez son fils le 23 mars 1871.
Les anciennes voies de Henri IV sont gardées mais élargies, on leur adjoint tout un ensemble de routes qu'on trace circulaires pour éviter la monotonie. On ménage dans le bois de vastes espaces libres qui deviendront des pelouses. Cinq lacs artificiels sont creusés, où l'on réserve des îles qui seront des oasis de verdure. Ces lacs sont reliés par quatre kilomètres de rivières où l'eau circule en méandres gracieux coupés de cascades et de gués. Parfois la rivière longe la route, parfois elle s'évade dans le bois, bordée d'un simple sentier. La Compagnie Pallu a confié à l'ingénieur Xavier Dufrayer, concepteur de la nouvelle machine de Marly (mise en service en 1858) la réalisation de ce circuit hydraulique entièrement artificiel. Pour le rendre pittoresque, on a chargé un rocailleur alpicois, Mathias Chabot, le soin de réaliser des rocailles, des cascades, de cascatelles décoratives que l'on admire encore aujourd'hui.

Le 14 août 1858 la Compagnie Pallu & Cie, offre à ses six cents ouvriers un banquet champêtre sur le terrain même de leurs vastes et rudes travaux. Tout en récompensant le zèle et l'activité de ses employés, la Compagnie célèbre aussi la "première période de l'exécution de ses grands projets". La partie ouest de la forêt du Vésinet, celle qui avoisine la gare, et que cependant on décrit comme "la moins riche en beaux et grands arbres", peut déjà donner une idée de ce qu'offrira l'ensemble. "Un lac pittoresque, au milieu duquel surgit une île qui, dans les mains d'un homme de goût, pourra devenir un ravissant séjour ; deux ponts praticables aux chevaux et aux voitures, l'un rustique, et l'autre remarquable ouvrage d'art en maçonnerie, des blocs de roche et de granit, produit des fouilles mêmes du sol, forment déjà un spécimen des plus pittoresques et des plus curieux, et depuis trois jours l'eau prise dans la Seine vient remplir le lac et donner à cette partie de l'exploitation un commencement de vie et d'animation. Une large et véritable rivière, qui fait suite au lac dont elle recevra les eaux, est aussi en voie d'exécution, et deux autres lacs, dont l'un comprendra tout l'ancien champ de manœuvres, seront creusés et inondés dans la campagne prochaine. La presse locale (l'industriel de St-Germain) et parisienne (le Journal des Débats) rendent compte de l'événement et s'extasient devant ce qu'on considère comme un "nouveau Bois de Boulogne".
"Le parc, dont la pente, de son sommet au niveau de la Seine, est de près de 30 mètres, a été dessiné et percé d'une façon si large et si heureuse, qu'il n'y aura pas une habitation d'où les yeux ne puissent se reposer sur un point de vue délicieux". En un mot, le Vésinet, disposé en amphithéâtre, voit se dérouler à son profit tout ce beau panorama qui s'étend en courbe "depuis les aqueducs de Marly jusqu'à Maisons-sur-Seine".

La première vente par adjudication de 24 lots de terrains boisés eut lieu le dimanche 10 octobre 1858. Elle concernait les îlots n°2 et 3, situés alors sur le territoire de la commune du Pecq, entre la route de la Passerelle et la route de Paris (boulevard Carnot). Il était logique que la "colonisation" du Vésinet commençât à proximité du Pecq où se trouvaient les commerces, proches de la station de chemin de fer, la seule ouverte à cette époque et qui portait le nom du Vésinet. Le texte de la notice est intéressant ; tout est mis en œuvre pour séduire l'acquéreur éventuel. Le prix (qui va de 1 frs à 4 frs le mètre carré (50 à 200 € d'aujourd'hui) est payable en deux ans à 5% d'intérêts l'an. Le parcours de chemin de fer, en seconde classe, est gratuit jusqu'au 1 janvier 1862, faveur qui sera prorogée jusqu'en 1875, valable pour une personne, locataire éventuellement, par maison. Les multiples agréments qu'offrent la forêt et la colonie naissante sont mis en valeur en peu de mots, mais on parle de transformer par étapes Le Vésinet "en un parc à l'instar du bois de Boulogne". Il y eut trois adjudications en 1858. A titre d'exemple, le 24e lot, mis à prix 2 900 frs fut acquis pour 4 800 frs par un libraire parisien. Deux ans plus tard, une centaine de maisons seront édifiées. Les premiers commerces s'implantent autour du Rond-Point puis au cœur du Village. Il a fallu aussi songer à équiper des troquets, des guinguettes, et quelques restaurants.

Le dimanche 19 août 1860, l'inauguration officielle des machines hydrauliques est l'occasion d'une fête somptueuse. Deux puissantes machines à vapeur pompent l'eau de la Seine pour alimenter les lacs, les rivières et les propriétés particulières du parc. Dès la veille, les oriflammes tricolores flottaient au bord des avenues. Des arcs de triomphe en feuillage avaient été dressés et les habitations se pavoisaient, prêtes à recevoir les excellences ...

Quatre ans après la première adjudication des lots, la gare centrale du Vésinet existe désormais, ainsi qu'un grand établissement hydraulique. Les commerces sont sur le point de s'installer. L'église Sainte-Marguerite est en chantier. Pour hâter le peuplement de la colonie du Vésinet, la Société Pallu s'est lancée dans la promotion immobilière, comme l'on dirait aujourd'hui. Le paiement s'effectue comptant pour le quart et par annuités de six à huit ans pour les trois autres quarts. Pendant l'année 1863, on bâtit 118 maisons, 924 parcelles ont déjà été vendues. Le nombre de voyageurs prenant le train en gare du Vésinet était important: en 1868, il fut de 144 359 voyageurs. En ajoutant le nombre de voyageurs habitant au Vésinet mais utilisant les gares du Pecq et de Chatou, une estimation donna un total de 200 000 voyageurs au Vésinet. Ce trafic était supérieur à celui des gares de Chatou et de Nanterre notamment.

  Le cahier des Charges

Un premier cahier des charges établi en 1858 par MM. Pallu & Cie, retrace l'histoire de l'échange par lequel la Société Pallu était entrée en possession du parc du Vésinet. Il fixe les conditions d'acquisition des terrains. Il détermine en outre la part contributive de chaque acquéreur dans l'entretien des voies et places créées et à créer et dans l'édification éventuelle d'une église. Pour défendre les propriétaires, la Société Pallu a imposé en 1863 un second cahier des charges. Il s'agit du texte remis aux acquéreurs pour leur notifier les conditions spéciales auxquelles ils devaient se conformer. Il fut complété ensuite par divers actes. Le texte du 10 mai 1863, codifie l'ensemble. Le cahier des charges fixe les règles en matière de :

  • contribution des acquéreurs à l'entretien des routes, chemins, allées, avenues et places, à l'édification de l'église dont les travaux étaient en cours,
  • service des eaux privées aux propriétaires,
  • hauteur des murs, haies, clôtures diverses,
  • construction des maisons,
  • interdiction de diverses professions et industries.

Ce cahier des charges est beaucoup plus détaillé que celui de 1858 ; cela peut être le fruit de l'expérience des cinq premières années de peuplement du parc.
La Société Pallu & Cie se réservait la propriété des voies de communication, des lacs et rivières, des coulées et pelouses. L'article 2 du document est consacré à l'éventuelle érection du Vésinet en commune. Il y est dit que « MM. Pallu & Cie, tant qu'ils demeurent propriétaires des voies de communications et places, se réservent le droit exclusif de provoquer l'érection du Vésinet en commune et d'y donner leur consentement ; MM. Pallu & Cie devront demeurer seuls juges de l'opportunité de cette mesure ». Le Vésinet ne sera jamais un centre industriel, aucune usine, manufacture, carrière, plâtrière, four à chaux ou à plâtre, briqueterie ou sablière ne peut s'y établir. Les commerces, métiers ou industries utiles aux constructions et aux besoins domestiques sont seuls autorisés dans divers quartiers qui leur sont spécialement affectés, et en particulier dans le Village du Vésinet, situé au centre du territoire de la commune, l'interdiction ne s'applique pas aux pépiniéristes, jardiniers, fleuristes, qui peuvent s'installer dans toutes les parties du Vésinet.

 L'Union des Propriétaires

Une deuxième phase s'étend de 1867 à 1875. On assiste à l'apparition, puis à l'amplification du mouvement qui conduira à l'autonomie du Vésinet. C'est donc la phase décisive. En 1867, se constitue l'Union des propriétaires du Vésinet, présidée par Alphonse Pallu, première manifestation d'une communauté d'intérêts. Le 1er septembre, une assemblée désigne la Commission des dix-huit, ayant pour mission de représenter les intérêts collectifs des habitants du Vésinet, dans toutes les questions d'intérêt général, sans toutefois pouvoir engager, en quoi que ce soit, les habitants. Ce sont MM. Gastambide, Madié, Potin, Pallu, Battarel, Caille, Weiss, Voytot, Garnier, Pramondon, Paris, Mayeur, Pesnon, Blanquet, Angot, Moncharville, Foucault, de Ricaudy et Laguionie (l'article qui leur rend hommage dans le journal L'avenir de St-Germain, en 1894, cite dix-neuf noms).
En décembre 1867 puis en février-mars 1868, circule une pétition demandant l'érection du Vésinet en commune. Peu après, le préfet de Seine-et-Oise présente une enquête. Le Conseil Municipal de Chatou ayant menacé de démissionner, la procédure est suspendue. En décembre 1869, une enquête officielle est menée à Croissy, Chatou et Le Pecq, communes dont Le Vésinet dépend pour son administration, ce qui ne va d'ailleurs pas sans difficultés ni heurts. Parmi la population consultée, les habitants du parc du Vésinet sont évidemment minoritaires (676 dires ou avis favorables à autonomie, 1 102 dires opposés). En foi de quoi, le commissaire-enquêteur conclut au rejet de la demande, le 18 juin 1870.

  De l'occupation prussienne à l'indépendance du Vésinet

Viennent les années 1870, 1871, qui donnent à l'administration et à la population d'autres préoccupations. On dit que les habitants étaient à Paris pendant le siège et que les Prussiens ne firent que des dégâts aux propriétés. En septembre 1870, ils occupent le pont de Chatou et sont au nombre de 8 000 au Vésinet. Ils investissent l'Asile Impérial et en chassent manu militari l'ambulance française qui s'y était installée. En villégiature au Vésinet, Georges Bizet préfère y demeurer, loin des violences de la Commune de Paris.

En 1871, alors que les troupes prussiennes et leurs alliés quittent les environs de Paris et que la situation politique est incertaine, Alphonse Pallu fait paraître une brochure intitulée La Souveraineté nationale et les réformes sociales. Un important article sur la situation d'alors au Vésinet parait dans Le Français (titre provisoire du Moniteur Universel). Bien qu'il soit très critique, il fourmille de détails précieux et originaux et il témoigne sans doute de l'état d'esprit d'Alphonse Pallu, quelque peu désabusé à ce moment donné, l'été 1871.

En 1872, la question d'ériger une nouvelle commune redevient d'actualité et la procédure reprend. Les commissions syndicales présidées par M. Mayeur et constituées d'habitants du Vésinet ressortissant aux trois communes concluent à l'unanimité, le 15 juin 1872, en faveur de l'érection du Vésinet en commune distincte. Mais le Conseil d'arrondissement n'a pas le temps de se prononcer: la municipalité de Chatou demande une enquête publique en vue d'une annexion pure et simple de la totalité du Vésinet à Chatou. L'enquête se déroule en mai-juin 1873. L'avis unanimement défavorable des commissions syndicales et le résultat de la consultation incitent le Conseil d'arrondissement en février 1874, puis le Conseil général de Seine-et-Oise en mars 1874, à recommander l'autonomie du Vésinet. A Paris, on joue les Sauvages du Vésinet, une opérette en un acte de Gabriel Ferry. Et en 1875, c'est la consécration : la loi est votée le 31 mai, érigeant en municipalité distincte le territoire du Vésinet.

  La Commune du Vésinet

La nouvelle commune élit son premier Conseil municipal les 25 juillet et 1er août 1875 ; Le Conseil se réunit pour la première fois le dimanche 15 août 1875 à 13 heures 30 dans la salle d'école des garçons. Son maire est désigné par le gouvernement en vertu de la loi du 20 janvier 1874 ; c'est fort logiquement Alphonse Pallu ; le Conseil Municipal vote son premier budget. Il demande aussi, dès septembre 1875, la remise à plat de son cadastre.
Le 11 février 1876, par un acte dit d'
abandonnement et d'acceptation passé devant Me Tollu, notaire à Paris, Alphonse Pallu transmet gratuitement à la nouvelle commune du Vésinet la totalité des voies de communications, routes, allées, sentiers, places, marchés, coulées, pelouses (mais pas les lacs et les rivières).
Le 8 octobre 1876 le Conseil Municipal élit son maire et confirme la désignation d'Alphonse Pallu (depuis peu, en effet, le gouvernement ne nomme plus que les maires des communes chefs-lieux de cantons).
Révoqué en octobre 1877, pour cause d'opposition au gouvernement, Alphonse Pallu redevient maire le 21 janvier 1878, réélu à l'unanimité. Mais, un an plus tard, le 4 avril 1879, il démissionne à la suite de dissensions apparues au sein du Conseil Municipal. Alphonse Pallu remplit les fonctions de maire jusqu'au 8 mai 1879. Jean Laurent lui succède jusqu'en 1887.

Durant tout ce temps, Le développement se poursuit. La chronologie de l'apparition des équipements nécessaires à la population du Vésinet met en relief autant de jalons de l'histoire des premières années d'existence de la colonie puis de la jeune commune.
Dès 1860, la création de la
Compagnie des Eaux et la mise en service de l'établissement hydraulique a permis d'alimenter en eau les propriétés, les lacs et les rivières. Des traités, signés entre MM. Pallu & Cie et les Communes voisines, ont étendu à celles-ci le service des Eaux et le partage des frais d'exploitation.
Un bureau postal de distribution a été mis en place en 1866. Il sera transformé en recette de plein exercice en 1869.
La création d'une école de filles gratuite et d'un asile ou garderie, dirigés par les
Sœurs de la Sagesse, en 1867 sera complétée en 1869 par une école laïque et gratuite de garçons.
Les commerces ont commencé à s'implanter dans le centre dès 1860-1862 : boucherie, boulangerie, menuiserie, couverture-plomberie, bureau de tabac, marchands de vin, fabricant d'absinthe, etc. Le marché au centre du village est ouvert en mai 1867. Il sera équipé de galeries couvertes en 1883.
En 1875, l'orphelinat d
'Alsace-Lorraine est fondé, grâce à la générosité de M. de Naurois et à l'initiative de la Comtesse de Chabrillan, ancienne artiste de variétés sous le nom de Céleste Mogador.
En 1876, Le Vésinet possède enfin son
cimetière, situé sur le territoire de Chatou. Un bureau de Bienfaisance succède au Comité des Dames patronnesses mis en place dix ans plus tôt par l'Union des Propriétaires. L'éclairage public à l'huile, fait son apparition mais dans le village seulement. Le Vésinet compte alors 2 465 habitants installés dans 420 maisons. Dix ans plus tard, la population aura doublé : en 1886, 4 460 personnes occuperont 762 maisons.

La Compagnie des Sapeurs-Pompiers a été installée en 1877. Elle se réunit le deuxième dimanche de chaque mois, pour les manœuvres, à la Mairie. La Compagnie se compose de vingt-quatre hommes et un sous-lieutenant faisant fonctions de commandant. Jean Laurent, alors conseiller municipal, lui offre sa première pompe en 1878.
A l'origine, en 1875, la mairie, était installée au 5 de la rue du Marché (école des garçons). Puis à compter du 1er octobre 1875, elle occupe le 26, rue Latérale (devenue rue du Général Clavery). En 1876, la municipalité décidait la construction d'un hôtel de ville dont les travaux durèrent deux ans et demi sous la direction de l'architecte
Louis Gilbert.
Le coût de la construction, y compris les écoles de garçons et de filles et l'asile (garderie pour enfants de 2 à 6 ans) représenta la somme de 173 286,86 F, ayant nécessité, pour la plus grande part, un emprunt autorisé par décret du maréchal de Mac-Mahon, remboursable en 20 ans à partir de 1883. Le personnel municipal ne comprenait alors que le secrétaire de mairie et trois gardes champêtres pour une population de 2 465 habitants en 1876. La grille (Jean, architecte) et la sculpture du fronton de l'édifice (Biberon, sculpteur) datent de 1880. Présentée à l'Exposition Universelle de 1889, la vasque en onyx, offerte par M. Sauvalle, fut installée devant la mairie en 1895. Le pourtour du bassin était en pierre noire de Volvic. La Société Sauvalle & Cie exploitait 600 hectares de carrières d'onyx dans la province d'Oran en Algérie et avait pris, dans ce domaine, la suite des activités de la Société Pallu & Cie dont M. Sauvalle devint le directeur à la mort d'Etienne Pallu en 1890. L'inauguration eut lieu le 27 juillet 1879, en présence de Charles Lepère, ministre de l'Intérieur et d'Albert Joly, député de la circonscription. La toute jeune fanfare du Vésinet et celles des communes voisines donnèrent un festival, puis un banquet se tint "sous une tente brillamment décorée placée dans les quinconces de la Mairie" (citation du Libéral de Seine-et-Oise). Après le toast du maire
Jean Laurent, porté à la santé de Jules Grévy, président de la République, les invités écoutèrent six discours. Un feu d'artifice fut ensuite tiré au Rond-Point Royal, et un bal, enfin, fut donné au profit de la caisse des écoles.

Il faut mentionner également deux projets qui ne virent jamais le jour, mais dont la réalisation aurait bien modifié le parc. En 1869, ce fut le projet du pont destiné à relier Port-Marly au Vésinet, afin de prolonger la route de Versailles, pour aboutir dans les environs du Lac Inférieur ; le second projet est celui de la Ville Écolière d'Alphonse Pallu.


© Société d'Histoire du Vésinet - http://www.histoire-vesinet.org