La Prévoyance

Société Municipale de Secours Mutuels, de Philantropie & de Retraites (1888-1945)

 Origine des Sociétés de Secours mutuels

En Angleterre se constituent des clubs de compagnons (comme la "chapelle" des ouvriers imprimeurs de Londres créée dès le XVIIe siècle) et des "sociétés amicales" . Au siècle suivant, des clubs locaux se réunissent dans des tavernes. Ils sont essentiellement formés par "l'aristocratie" des ouvriers qualifiés, non touchés encore par la révolution industrielle : typographes, tonneliers, ébénistes, ouvriers des chantiers de construction navale, papetiers, etc. Mais au XVIIIe siècle, avec l'évolution des corporations, des scissions se produisent et l'on voit apparaître des confréries de maîtres et des confréries de compagnons. Ces dernières organisent fréquemment la solidarité. Elles font figure de sociétés de secours mutuel et peuvent parfois prendre l'initiative de grèves. C'est pour cette raison qu'elles se heurtent aux autorités. Toutefois, elles perdent progressivement de leur efficacité et leur activité est très réduite à la veille de la Révolution.
En France, l'évolution est différente, même si l'influence des syndicats d'outre-Manche y est sensible. Déçus par la IIe République, les ouvriers français ont, durant les premières années de l'Empire, tendance à se méfier de la politique. Napoléon III essaye de profiter de cette situation pour jeter les bases d'un "césarisme social". Il favorise les associations de secours mutuel, mais à la condition que leur activité se limite à l'organisation de la solidarité. Ces sociétés sont destinées à couvrir des risques que le système de prévoyance collective ne prend pas en compte (accidents du travail et maladie). Leur défaut est leur instabilité; "elles sont, pour la plupart, incapables de remplir tous les engagements qu'elles ont contractés" (Hubbard).

Et puis, elles ne sont pas encore très bien acceptées : "J'ai vu surgir spontanément des sociétés de secours mutuel, il y a plus de vingt-cinq ans, parmi les ouvriers et les artisans les plus dénués, dans les villages les plus pauvres du département des Landes [...] Dans toutes les localités où elles existent, elles ont fait un bien immense [...] Leur écueil naturel est dans le déplacement de la responsabilité. Ce n'est jamais sans créer pour l'avenir de grands dangers et de grandes difficultés qu'on soustrait l'individu aux conséquences de ses propres actes. Le jour où tous les citoyens diraient : "Nous nous cotisons pour venir en aide à ceux qui ne peuvent travailler ou ne trouvent pas d'ouvrages", il serait à craindre que bientôt les laborieux ne fussent réduits à être les dupes des paresseux ("Les Harmonies économiques", F. Batistat, 1850)

 La Prévoyance du VésinetLivret de La Prévoyance

La création de la Prévoyance au Vésinet en 1888 est le signe que Le Vésinet n'est pas seulement un lieu de villégiature pour oisifs fortunés. 300 familles du Vésinet environ comptent alors au moins un membre exerçant une profession manuelle - Les jardiniers sont les mieux représentés, ils sont plus de soixante - ou commerçante (dont 17 marchands de vins !). Cette population est principalement concentrée dans le village, le hameau du Petit Montesson, qu'on appelle aujourd'hui les Charmettes, ou le pourtour du Rond-Point de la République. Elle ne manque pas d'ouvrage avec les nombreux chantiers en cours, le train et ses gares, les hectares de jardins à bichonner.
On met donc en place une "Société Municipale de Secours Mutuels, de Philantropie & de Retraite". Elle est approuvée par le préfet de Seine & Oise le 30 juin 1888, peu après l'arrivée d'Alphonse Ledru à la tête de la municipalité.
Le premier président est Jean Bivort, courtier de commerce, habitant 38, route de Chatou, qui fut membre du premier conseil municipal (1875-1878) puis fut de nouveau élu en 1884 et en 1888. Il occupera la présidence de la Prévoyance jusqu'en 1903 et restera Président d'honneur jusqu'à sa mort en 1908. Gaston de Casteran lui succèdera pour une dizaine d'années, période débordant à peine de son mandat de Maire.
Parmi les membres du premier conseil d'administration, on trouve Georges Deloison (vice-président) et D. Thibault, instituteur (trésorier) auxquels on doit plusieurs ouvrages sur l'histoire du Vésinet et encore Paul Clavery, ministre plénipotentiaire, père du Général Clavery dont une de nos rue porte le nom. Louis Barthou fut président d'honneur en 1897. Il était alors ministre de l'Intérieur.

On trouve dans quelques numéros du Bulletin des Sociétés de Secours Mutuels les traces des activités, très fragmentaires et incomplètes, de notre Prévoyance du Vésinet, avec en particulier les discours de Georges Deloison (1897) et Jean Bivort (1900), leur enthousiasme, leurs difficultés, leurs espoirs au temps où la solidarité fonctionnait sur le principe de la bienfaisance privée et la philantropie.
On y relève aussi l'existence d'autres sociétés de bienfaisance au Vésinet : La Jeunesse prévoyante (1905), La Bienvenue (société d'éducation physique, 1913), ...

La lecture des Statuts nous apprend que la Société avait pour but de "donner les soins du médecin et les médicaments aux membres participants malades, de leur payer une indemnité pendant la durée de leurs maladies, de pourvoir à leurs funérailles, de venir en aide aux veuves et aux orphelins des membres participants décédés, de procurer, gratuitement, autant qu'elle le pourra, des emplois aux sociétaires qui en sont privés, de constituer une caisse de pensions viagères de retraites, conformément aux lois et décrets en vigueur".
La Société se compose de membres honoraires et de membres participants. Les femmes peuvent faire partie de la Société, mais, "dans aucun cas", elles ne prennent part à l'administration, ni aux délibérations. Les membres honoraires sont ceux qui, par leurs souscriptions, contribuent à la prospérité de l'Association sans participer à ses avantages. En cas de décès, "une couronne sera déposée sur leur tombe, au nom de la Prévoyance".
Les membres participants sont ceux qui ont droit à tous les avantages assurés par l'Association en échange du paiement régulier de leur cotisation. Le nombre des membres participants ne peut excéder cinq cents.
Pour être admissible comme membre participant, il faut être domicilié ou avoir sa résidence, depuis six mois au moins, au Vésinet, et être de nationalité française. Il faut être "valide et d'une conduite régulière, d'une bonne constitution, et ne pas avoir éprouvé de maladie grave depuis six mois". Le candidat devra, avant son admission, s'être présenté chez l'un des médecins de la Société, autre que le sien ou celui de sa famille, pour faire constater l'état de sa santé. Le certificat d'admission est payé par la Société.

Un atelier au Vésinet
Un atelier au Vésinet vers 1900

Les sociétaires auront la faculté de faire admettre dans la Société leurs enfants âgés de six ans révolus et de moins de seize ans. Ces admissions ne pourront avoir lieu qu'en Assemblée générale et après production d'un certificat d'un médecin de la Société attestant qu'ils ne sont atteints d'aucune "maladie chronique ni d'aucun vice de conformation nuisible à la santé". Après l'âge de seize ans ces enfants pourront demander leur admission définitive. Le paiement de la cotisation des enfants ne donne droit qu'aux secours médicaux et pharmaceutiques.
Les Assemblées générales ont lieu le second dimanche de février, à deux heures de l'après-midi à la Salle dite de gymnastique faisant, partie des annexes de la mairie du Vésinet. A deux heures et demie les portes sont fermées. Il n'est pas adressé de lettres de convocation, sauf pour les réunions extraordinaires. Il est interdit aux membres du Bureau de se servir de leur titre en dehors des fonctions qui leur sont attribuées par les statuts. Toute discussion politique ou religieuse est interdite dans les réunions de la Société ou du Bureau. Une réunion mensuelle du Conseil aura lieu à la Mairie le premier samedi de chaque mois, à huit heures et demie du soir.
En cas de maladie d'un membre participant, le Secrétaire en donne avis au médecin et aux visiteurs en fonctions. Il règle tout ce qui a rapport aux funérailles. Le Trésorier délivre aux sociétaires, au moment de leur admission, des cartes ou livrets sur lesquels il constate le paiement des cotisations. Il opère le placement ou le déplacement des fonds. Des "visiteurs", choisis par le Bureau parmi les membres participants, sont chargés de visiter les malades, de leur porter l'indemnité et de s'assurer de l'exécution des obligations de la Société à leur égard. Le fonds social se compose :

    Des droits d'admission payés par les membres participants;

    Des cotisations des membres participants et des membres honoraires;

    Du produit des amendes;

    Des fonds placés et des intérêts échus et des dons et legs dont l'acceptation a été approuvée par l'autorité compétente;

    Des subventions accordées par l'État, le Département ou la Commune.

Les fonds en caisse ne peuvent jamais excéder deux mille francs; l'excédent est placé en compte courant, à la Caisse des Dépôts et Consignations. Pour les hommes entrant dans la Société, la cotisation est de :

    De 16 à 25 ans  ...  1,50 frs par mois.

    De 25 à 40 ans  ...  2 frs par mois ( elle passera à 2,50 frs en 1921, 3,75 frs en 1931, 5 frs en 1941).

Pour les femmes entrant dans la Société elle s'élève à :

    De 16 a 25 ans  ...  1 franc par mois.

    De 28 a 40 ans  ...  1,50 frs par mois.

Les versements mensuels devront être effectués au siège des réunions, le premier samedi de chaque mois, de 8 heures et demie à 10 heures du soir. Les sommes versées par les membres rayés, exclus ou démissionnaires, seront acquises à la Société. Tout membre participant - homme qui n'assistera pas l'Assemblée générale annuelle ni aux convocations régulièrement faites, devra payer une amende d'un franc, s'il n'a fourni au préalable, par lettre, des excuses valables. Le sociétaire malade aura droit à une indemnité ainsi fixée : "pour les hommes, à 1,80 frs par jour pendant le premier et le deuxième mois et à 2 francs pendant le troisième mois; pour les femmes à 78 centimes par jour pendant le premier et le second mois et à 1 franc pendant le troisième mois".
Si la maladie se prolonge plus de trois mois, le Conseil décide s'il y a lieu de continuer l'indemnité, en fixant le chiffre et la durée de celle-ci. Tout sociétaire tombant malade devra en informer, par écrit, le secrétaire, en ayant soin de donner son adresse exacte.
"Aucun sociétaire ne devra mander un médecin ni se rendre à sa consultation, s'il ne s'est muni auparavant à la Mairie d'une feuille de visite. En cas d'urgence, les sociétaires devront posséder la feuille au plus tard le lendemain de la première visite; ils la rendront au secrétaire dès qu'elle ne leur sera plus utile".
Une indisposition de trois jours ne donne pas lieu à une indemnité. Une maladie plus prolongée donne droit à l'indemnité à partir du premier jour. Dans tous les cas, le médecin et le pharmacien sont payés par la Société. "Aucun secours, ni indemnité ne sont dus pour les maladies contractées par la débauche, l'alcoolisme ou par une rixe volontaire. La Société n'accorde pas de secours pour cause de chômage".


Un chantier au Vésinet vers 1920.

Tout malade rencontré hors de chez lui sans y être autorisé, celui qui a pris des médicaments ou des aliments contraires aux ordonnances du médecin, celui qui fait usage de liqueurs alcooliques, cesse de recevoir l'indemnité en argent. Les secours en argent cessent également d'être accordés au malade qui est trouvé exerçant sa profession, ou tout autre travail lucratif.
Les femmes en couches, légitimement mariées, et ayant plus de dix mois de sociétariat, auront droit au pharmacien, mais elles ne pourront profiter de l'indemnité qu'après le quinzième jour. Il leur sera alloué vingt francs pour couvrir les frais de la sage-femme.
Dans le cas de décès d'un membre honoraire ou participant de la Société, des lettres sont envoyées, avant l'inhumation aux sociétaires et aux frais de la Société. Une députation de vingt membres participants sera convoquée spécialement, par les soins du Bureau, pour assister aux obsèques.
Tout sociétaire appelé sous les drapeaux devra en informer le Président un mois avant son départ ; s'il reste absent plus d'un mois, il n'est pas tenu de verser ses cotisations. Son premier mois de réadmission lui donne droit aux avantages de la Société, sans qu'il soit obligé de payer le droit d'admission. Il est tenu, toutefois, de produire un nouveau certificat de santé, délivré par l'un des médecins de la Société.
Les membres participants, devenus infirmes ou incurables avant l'âge fixé par les statuts pour être admissibles à la pension de retraite, conformément aux dispositions des décrets ou lois existants, peuvent recevoir un secours déterminé, chaque année, par le Conseil d'administration, selon les ressources de la caisse.

Enfin,un Règlement (aussi long et détaillé) précise qu'il sera perçu un franc pour l'insigne (!) [ci-dessous, insignes d'administrateur et de sociétaire] le port de l'insigne étant obligatoire pour les membres participants aux Assemblées générales, et lorsqu'ils sont appelés à faire partie d'une députation.

Notons qu'en 1888, une telle société n'est plus exceptionnelle. On en compte plusieurs dizaines par département, toutes sur le même modèle. La Prévoyance du Vésinet fonctionnera jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale.

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