Dès qu'Alphonse Pallu mit en adjudication
les premiers terrains du Vésinet, en 1858, il imposa aux acquéreurs
un Cahier des Charges.
C'est l'ancêtre de notre plan d'occupation des sols (POS) actuel. En
effet, parmi ses dispositions, figuraient les premières règles destinées à préserver
le site. Les terrains situés à proximité des lacs, rivières, pelouses
et coulées devaient obéir à des prescriptions particulières en matière
de clôtures, d'une part, et d'implantation de maisons, d'autre part.
Les clôtures
Les clôtures (article
5 du cahier des charges) des lots bordant les pelouses et les
coulées, ne pouvaient être constituées que par "des
haies ou sauts-de-loup, des grilles et treillages en fer ou en bois
posés sur le sol ou sur murs d'appui. Les murs d'appui et les haies
ne pourront avoir plus de 1,10 m d'élévation: les haies devront être
taillées au moins une fois par année".
Les règles étaient plus strictes pour la clôture des lots bordant
le tapis vert et l'étaient davantage encore en bordure des lacs et
des rivières: "aucune
clôture, si ce n'est des treillages légers en fil de fer destinés
seulement à éviter les accidents et dont la hauteur ne pourra excéder
un mètre".
Tout cela, on le sait, avait été inspiré par le Comte
de Choulot, auteur de l'Art
des jardins et concepteur du parc du Vésinet, mais également
par l'exemple des propriétés anglaises qu'Alphonse Pallu avait découvert
lors d'un voyage en Grande-Bretagne en 1848.
Dans les autres parties du Vésinet, il était précisé que "tout
mur de clôture bordant la voie publique ne pourra dépasser 2,30 mètres
de hauteur au point bas et tout compris".
En outre, ce mur ne pourra "se
poursuivre sur une longueur continue de plus de 10 mètres, sans être
interrompu par une baie de 4 mètres au moins d'ouverture, qui pourra être
garnie d'une grille ou d'un treillage en fer ou en bois posé sur un mur
d'appui de 1,10 mètre au plus".
Les constructions
L'article
6 du cahier des charges traite, de la construction des maisons.
A moins de 10 mètres des clôtures bordant les coulées, pelouses,
tapis vert, lacs et rivières, on ne peut édifier d'autres constructions
que des kiosques, berceaux, réservoirs et belvédères élégants, susceptibles
d'embellir la propriété et l'aspect général du Vésinet. Si le terrain
est séparé des coulées, etc., par une route carrossable (et non par
un simple sentier), la zone non aedificandi de 10 mètres peut
accueillir également des pavillons de concierge, écuries, remises
et serres pourvu que leur façade extérieure soit décorative, que
leur largeur n'excède pas 6 mètres et que leur hauteur n'excède pas
un rez-de-chaussée surmonté d'un étage lambrissé".
Enfin, l'article 7 du
cahier des charges interdisait, sur la totalité du Vésinet, l'exploitation
d'usines, manufactures, carrières, plâtrières, fours à chaux ou à plâtre,
briqueteries et sablières. Les pépiniéristes et les jardiniers pouvaient,
en revanche, s'établir dans toutes les parties du Vésinet. Et, sur certains
lots seulement, pouvaient s'installer les commerces, métiers et industries
utiles aux constructions ou aux besoins domestiques.
C'est donc dans ce cadre réglementaire que Le Vésinet s'est construit,
et le cahier des charges est resté en application pendant quatre-vingts
ans.
En 1875, année de l'érection du Vésinet en commune, on comptait 554 maisons.
En 1891, ce nombre était passé à 1 200. En 1901, Le Vésinet comptait
4 790 habitants et 695 "de passage".
Les méfaits de l'urbanisation des
années 20
Le 14 mars 1919, était votée une loi
faisant obligation aux villes de 10 000 habitants et plus d'établir
dans les trois ans un projet d'aménagement, d'embellissement et d'extension.
Le Vésinet ne comptait alors que 6 000 habitants environ.
Cinq ans après, une nouvelle loi venait compléter la précédente et en étendait
le champ d'application notamment aux communes demandant leur assujettissement à la
loi. Les municipalités de l'époque n'ont elles-mêmes pas pris d'initiative
en ce sens, se reposant sans doute sur le Cahier des charges.
Or, après la première guerre mondiale, s'effectuent au Vésinet un certain
nombre de morcellements et des lotissements, s'édifient de grands immeubles,
route du Grand-Pont, chemin de la Grande-Pelouse. En l'espace de dix
ans (1921-1930) la population augmente de 50%. Six cents pavillons sont
construits entre 1920 et 1927. En 1924, le Conseil Municipal, présidé par Camille
Saulnier, décide néanmoins de réglementer dans l'intérêt de "l'hygiène" la
hauteur des immeubles bordant les rues. Ils pourront s'élever jusqu'à 6
mètres plus les trois quarts de la largeur de la voie, sans dépasser
13,50 mètres. Cette règle est assouplie quatre mois plus tard, en juin
1924: si l'immeuble doit dépasser cette hauteur, il doit être reculé par
rapport à l'alignement d'une distance égale au dépassement de hauteur.
Certains considéraient, en effet, que la limitation de la hauteur augmentait
la crise du logement. Mais, en 1926, le Maire abroge l'arrêté réglementant
la hauteur des immeubles. Le Vésinet se retrouve donc sans protection.
En 1932, une nouvelle loi autorise l'établissement d'un projet d'aménagement
de la région parisienne auquel seront subordonnés les projets d'aménagement,
d'embellissement et d'extension des communes. Celles-ci devront toutes,
si elles sont situées dans un rayon maximum de 35 km, établir un projet,
si elles ne l'ont déjà fait en application des lois de 1919 et 1924.
C'est le cas du Vésinet.
La Municipalité issue des élections de 1929, et dont Henri
Cloppet est devenu le Maire, a décidé de prendre le mors aux
dents, afin de renforcer la protection du site du Vésinet. Elle s'est
rendue compte que le cahier des charges de 1858 comportait maintenant
des lacunes. En matière de construction de locaux d'habitation, ses seules
prescriptions, on l'a vu, portaient sur le respect des zones inconstructibles à proximité des
pelouses, lacs et rivières. Mais rien ne venait limiter la taille ou
la hauteur des constructions. Et, en dehors de ces secteurs protégés,
aucune règle de constructibilité n'existait.
La Municipalité et le Syndicat d'initiative se mirent alors au travail.
Cela devait déboucher sur le règlement des servitudes de 1937.
En 1933, le Conseil Municipal demande le classement des parties du site
appartenant à la commune, puis un arrêté municipal édicte un important
règlement de voirie qui, notamment, reprend et affine les dispositions
du cahier des charges relatives aux clôtures, impose des prescriptions
en matière de fenêtres, auvents, marquises, revêtements de façades. Enfin,
toujours en 1933, le Conseil examine le projet de plan d'aménagement
qui sera adopté définitivement le 10 décembre 1935, sur le rapport de
Gaston Jonemann, conseiller municipal, le père de Alain
Jonemann.
Entre-temps, ont été pris les arrêtés ministériels du 5 février 1934,
l'un classant comme sites le lac des Ibis, les pelouses et les coulées
appartenant à la commune, l'autre inscrivant à l'inventaire
des sites les autres lacs et les rivières (propriétés de la Lyonnaise
des Eaux).
Le 29 juillet 1937, Albert Lebrun, président de la République, signait
le décret déclarant d'utilité publique le projet d'aménagement, d'embellissement
et d'extension de la commune du Vésinet (Seine-et-Oise). Le règlement
des servitudes, mis en chantier par la Municipalité dirigée par Henri
Cloppet et approuvé par le Conseil Municipal présidé par Emile
Thiebautétait annexé au décret.
Un ensemble de règles d'urbanisme
Quels sont les dangers qui menacent Le
Vésinet? s'interroge la présentation du règlement de 1937?
Ils sont au nombre de deux: la construction non réglementée, le morcellement
non réglementé. Le cahier des charges, insuffisant, on l'a vu, n'avait
pas force de loi et ses violations n'entraînaient pas de poursuites pénales.
Les innovations essentielles du règlement
de 1937 ont consisté en premier lieu à classer en quatre catégories
les terrains du Vésinet et à définir, pour chacune d'elles, des dispositions
particulières:
Première catégorie (abords
et environs des pelouses, coulées, lacs et rivières): 1 000
m² minimum de surface et 25 mètres de largeur minimale.
Deuxième catégorie (parties
ayant conservé le caractère pittoresque) 700 m² et 18 mètres
Troisième catégorie (parties
n'ayant pas de caractère pittoresque ou dans lesquelles le
morcellement est déjà très accentué) : 400 m² et 12 mètres
Quatrième catégorie ("le
village" et les parties du parc Vésinet réservées au
commerce): pas de règles minimales.
Plan d'Aménagement (fragment) déclaré d'utilité publique
le 25 juillet 1937.
(Rouge: 1ère catégorie; jaune: 2e, bleu: 3e; vert
4e)
Les zones non aedificandi en façade
sur rue sont définies pour les trois premières catégories. Des marges
latérales d'isolement sont fixées en fonction de la largeur du terrain.
Les règles d'emprise au sol apparaissent aussi (30% dans les trois
premières catégories où seules des maisons peuvent être construites,
70 % dans la quatrième).
La hauteur est aussi réglementée: dans les trois premières catégories,
12 mètres maximum (mais deux étages seulement dont un sous combles ou
terrasse). Dans la quatrième catégorie, quatre étages, 15 mètres maximum.
Figurent aussi dans le règlement des servitudes des dispositions concernant
les constructions multiples sur une même propriété, les vues directes
ou l'affichage (interdit dans les trois premières catégories).
Enfin, le règlement de 1937 soumet à autorisation municipale la construction
des bâtiments, allant donc au-delà de la loi de 1902 qui n'exige le permis
de construire que pour les communes de 20 000 habitants et plus.
Le plan
d'urbanisme de 1970, puis le plan
d'occupation des sols approuvé en 1979, se sont inspirés
directement du règlement de 1937 en en renforçant certaines dispositions
(configuration des terrains, marges d'isolement, hauteur), en édictant
des règles d'implantation de places de stationnement, en précisant
quelques points touchant à l'aspect des constructions (matériaux).
Et s'ajoute le coefficient d'occupation des sols, notion plus récente.
Au travers de ce raccourci sur l'histoire de l'urbanisme
du Vésinet, sont mises en lumière des constantes dans l'action
de protection du Vésinet et de son site. Cela passe, on le sait, par
l'entretien des espaces verts naturels et par la qualité des constructions
et des clôtures.
In "Le
50e anniversaire du règlement des servitudes du Vésinet"
A-M Foy, Maire adjoint, chargé de l'Urbanisme, 1987